S'il est un endroit où la nature se prédestinait à choyer la vigne, il semble que ce soit dans ces lieux, autour de la cité médiévale d'Eguisheim, où les gens du pays se plaisent à situer le berceau du vignoble alsacien. Le riche terroir déploie ses pampres, entre 220 et 340 métres d'altitude, en direction du sud et du sud-est, sous l'oeil protecteur des trois châteaux d'Eguisheim campés sur la crête boisée de la colline. On raconte que les trois forteresses reposent sur une ancienne vigie romaine d'où l'on guettait les malandrins qui s'aventuraient dans le vignoble. "Les Romains, arrivés dans le pays vers l'an 58 avant Jésus-Christ, apportèrent avec eux la culture de la vigne. Trouvant à Eguisheim une terre de prédilection argilo-calcaire, ils plantèrent les premiers ceps sur les coteaux qui accueillent aujourd'hui nos grands crus", déclare Paul Ginglinger, vigneron-récoltant et président de la Société d'Histoire d'Eguisheim. Au-delà de la légende, le terroir apporte une vérité incontestable. Abrité par les collines sous-vosgiennes, disposant des sols profonds constitués d'argile imperméable, de sables, d'éboulis gréseux et de cailloutis calcaire, le Eichberg réunit les conditions favorables à une bonne maturité des raisins, un bel équilibre sucre acidité, un bouquet aromatique et une délicate saveur des vins. Il n'est pas étonnant que les moines et les nobles, cherchant à asseoir leur pouvoir sur terre, aient construit leurs demeures auprès de cette source de bon vin.
Berceau de puissance
En effet, les dignitaires du Moyen Age semblaient apprécier particulièrement les sites choisis par leurs prédécesseurs. C'est auprès des coteaux défrichés par les Romains, que le comte Eberhard, fils du duc d'Alsace et neveu de sainte Odile, décida de construire son château en 720, pour gouverner un territoire qui s'étendait de Sélestat jusqu'à Bâle. Ainsi vit le jour la cité d'Eguisheim, berceau de la puissante dynastie dont elle portait le nom et source incomparable de vins de qualité.
L'intérêt des lieux n'échappait pas non plus aux ordres ecclésiastiques dont les monastères jalonnaient la route de bons crus. C'est dans cette localité blottie entre les vignes et agglomérée autour de l'ancien château octogonal que les descendants des premiers comtes d'Eguisheim auraient mis au monde le seul pape que l'Alsace ait donné à la chrétienté, Léon IX.
On ne sait pas si le souverain pontife, un tantinet rigoriste, introduit les crus d'Eguisheim dans la curie romaine, mais ce que l'on sait, c'est que les moines augustiniens de l'abbaye de Marbach, construite au-dessus du Eichberg "dans l'endroit le plus ensoleillé d'Alsace", percevaient leurs impôts en vin de la commune, en dépit de leur ascétisme et de leur lutte contre le libertinage de l'épiscopat strasbourgeois, lequel, d'ailleurs, s'empara de la cité en 1225, à l'extinction de la noblesse locale. Entre 810 et 976, on dénombre 16 cours coulangères appartenant à des institutions ecclésiastiques qui prélèvent du vin dans la localité. Plus tard, au XVe siècle, les vins d'Eguisheim, à l'instar d'autres crus alsaciens, partent de Colmar par l'Ill et de Strasbourg par le Rhin vers les cours princières de l'Europe du Nord. "La qualité était telle, raconte Paul Ginglinger, que le vin s'améliorait dans les barriques pendant le transport de plusieurs semaines et que des millésimes comme celui de 1539 pouvaient se conserver durant plusieurs décennies". C'est à cette époque que le nom d'Eichberg fait son apparition.
Dynastie des grands vins
Aujourd'hui le grand cru répond aux exigences d'une autre aristocratie, celle des cépages nobles de la dynastie des grands vins d'Alsace. "Riesling, gewurztraminer, tokay pinot gris et muscat acquièrent une typicité remarquable sur le Eichberg. Les rieslings et les gewurztraminers prédominent sur les 57 ha du grand cru, mais les quatre cépages peuvent s'y épanouir à merveille", affirme Armand Baur, président du syndicat viticole local. Comme dans tous les grands crus, la parfaite adaptation du cépage au terroir se traduit ici par le lien de parenté qui s'établit au niveau de la finesse, de la complexité aromatique et de la longévité des différents vins. "Quel que soit le cépage, les gênes du terroir se manifestent dans l'expression caractéristique des vins et l'évolution de leur personnalité. Cette hérédité du sol se retrouve dans la bouteille. Elle est notre patrimoine", remarque Albert Hertz. Un patrimoine que les vignerons-récoltants d'Eguisheim vénèrent profondément.
Affables et magnanimes, toujours prêts à nous faire déguster les meilleurs crus de leurs caves, les vignerons se font discrets en parlant de leur travail. Ils préfèrent évoquer les vertus de leur terroir, à l'égard duquel ils expriment une reconnaissance infinie. Quand ils parlent de leurs vins, ils soulignent la générosité de la terre qui les fait naître plutôt que le labeur quotidien de ceux qui les élèvent, comme si toute la signification de leurs gestes n'était qu'un hommage permanent rendu à la nature. Mais le meilleur terroir du monde n'est qu'un champ en friche sans l'intervention humaine. Si les vignobles de qualité s'épanouissent dans les milieux naturels les plus aptes, c'est parce que des hommes ont eu l'intuition d'imaginer le potentiel de la terre et la talent de la cultiver. Derrière la modestie spontanée apparaît la volonté de chacun d'apporter sa touche personnelle au vin, "en combinant les possibilités du terroir", comme le souligne Annick Stoffel, jeune vigneronne enthousiaste et communicative.
La plus haute expression
"La recherche du potentiel se fait dans la vigne et dans la cave, explique François Sorg. En présence d'un terroir généreux comme le Eichberg, il faut savoir contrôler les rendements pour lui permettre d'atteindre sa plus haute expression. Ensuite, le travail sur la matière première obtenue est une question de sensibilité et d'expérience personnelle". La variété humaine fait la diversité des vins et la richesse des caves. "Ce qui est extraordinaire dans notre région, c'est que l'on peut toujours trouver un vin pour répondre aux exigences du client. En gastronomie, nous disposons d'une dizaine de vins différents pour un même plat", observe Jean Marc Simermam, sommelier du Restaurant Buerehiesel, haut lieu de créativité et de tradition alsacienne au coeur du Parc de l'Orangerie de Strasbourg. "L'important, ajoute-t-il, c'est de montrer qu'il n'existe pas un riesling ou un gewurztraminer type, mais une large gamme de rieslings et de gewurztraminers de grande qualité. Dans une bouteille, il doit y avoir trois choses essentielles : le sol avec son cépage, le viticulteur avec ses idées et les conditions climatiques d'un bon millésime".
Comme tous les vignerons-récoltants, ceux du Eichberg suivent une trajectoire personnelle guidée par leur savoir-faire et leur inspiration. Dans leur démarche individuelle, un engagement spontané les unit cependant : faire apprécier leur grand cru au travers de la grandeur de ses vins. "Les grandes maisons vendent un nom de marque, le petit vigneron doit se faire connaître par la qualité", déclare Didier Scherer. La reconnaissance est plus longue à venir parfois, mais dans cette recherche assidue de la perfection et l'émergence discrète de nouveaux talents qu'elle garantit, réside, peut-être, la clé de la pérennité du vignoble.
Vous pouvez lire l'Avis du Connaisseur sur les vins issus de ce terroir.
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