Le corps et l'esprit

Geisberg

Situé entre le Kirchberg et l'Osterberg, le Geisberg complète la trilogie des grands crus de Ribeauvillé. Nous vous invitons à découvrir le troisième grand cru de la cité du "gai savoir " et de la muse bachique.


Le Geisberg est le plus petit des trois terroirs, moins de 9 hectares de superficie, c'est aussi le plus ensoleillé et celui dont la pente s'incline avec le plus de coquetterie vers la ville, ceignant des couleurs des pampres les toits des habitations en contrebas. Il partage avec ses voisins la même veine géologique, issue de l'ère secondaire moyenne, essentiellement composée de dépôts marins, qui ont donné naissance aux marnes du Muschelkalk. Les trois terroirs reposent sur la même roche mère, mais leur physionomie est distincte. Dans le Geisberg le relief est plus accidenté et son exposition plein sud. Ses sols, formés d'argile et de calcaire coquillier, renferment des marnes gréseuses ainsi que des sédiments de gypse, au sommet, qui lui donnent sa texture particulière et déterminent sa relation avec la vigne.

Le corps et l'esprit
Un ensemble de terrasses, soutenues par de murets en grès, apprivoisent la pente abrupte du terroir étagé entre 250 et 350 mètres d'altitude et dont le nom évoque la morphologie du terrain. Certains prétendent, en effet, que le nom Geisberg viendrait du fait que seules les chèvres pouvaient se tenir debout dans ces parages, Geis signifiant chèvre en allemand. Le même mot, dit-on, servait aussi autrefois en Allemagne à designer une pente pierreuse. Mais d'autres n'hésitent pas à voir dans ce mot l'évocation de l'esprit (Geist, en allemand), non pas l'esprit du malin qui s'incarne dans le mammifère caprin, mais celui qui se manifeste à la dégustation d'un bon vin et qui permet de dire aux gourmets d'Outre Rhin : dieser Wein hat Geist, pour signifier que le vin a du corps.

Le corps et l'esprit, sont de fait inséparables dans le Geisberg. Protégé des vents et adulé par le soleil, le terroir favorise la floraison précoce de la vigne et une longue maturité des raisins. Son microclimat et sa géologie se combinent pour donner des vins racés, remarquables par leur équilibre, leur puissance et finesse aromatique. Plus qu'ailleurs, le riesling, cépage qui demande une longue et délicate maturation, trouve ici son terroir idéal. Vendangés au moment adéquat, lorsque le raisin a synthétisé le sucre résiduel sans toutefois atteindre le stade du botrytis, les rieslings Geisberg acquièrent une harmonie exceptionnelle. Parés de lueurs cristallines, dans leur robe légèrement dorée, ils sont délicats au nez, denses et long en bouche, et exhalent avec le temps le goût typique de "vieux riesling ", dans lequel les amateurs de grands crus reconnaissent l'expression minérale des terroirs de Ribeauvillé.

Maîtriser le potentiel
La cité est une des rares communes d'Alsace à avoir trois grands crus sur son territoire et la mise en valeur de ce patrimoine requiert, de la part du vigneron, une réflexion constante sur la conduite a adopter pour maîtriser le potentiel entre ses mains. Les grands crus ont un rôle important dans la chaîne de la qualité, souligne à cet égard André Kientzler, vigneron-récoltant présent dans les trois grands crus. "A partir du moment où les grands vins s'affirment dans la région, cela ne peut être que bénéfique pour l'ensemble des vins d'Alsace ". Mais Il faut du temps pour saisir tous les facteurs qui concourent à l'élaboration d'un grand vin. " Une chose est certaine, ajoute-t-il, à mesure que l'on avance dans la compréhension, on découvre que les outils à notre disposition ne sont pas à la hauteur des exigences du terroir : les plants de vigne que l'on nous propose sont encore destinés à favoriser la production quantitative, en opposition avec la notion de grand cru. Notre demande de plants à faibles rendements est toujours insatisfaite. " En attendant que la recherche comble ce retard, les vignerons limitent la production par des méthodes empiriques. Certains privilégient les vieilles vignes, autour de 20 ans d'âge, et procèdent au tri sur pied pour ne retenir que les raisins en parfait état sanitaire ; d'autres suppriment des raisins en été ou laissent une partie de la récolte dehors, "ce qui n'est pas la solution idéale ", convient Jean Luc Baltenweck, responsable des vignes et de la vinification au Couvent de la Divine Providence, propriétaire-récoltant de sept hectares de vignoble dont deux sur le Geisberg.

Fil d'Ariane
"Le travail de l'homme dans l'élaboration d'un vin remarquable s'apparente à la peine qu'il se donne pour réussir son éducation, manifeste la supérieure du couvent, Sœur Monique, en citant un ami prêtre. Il suffit d'un faux pas dans son parcours pour que le résultat soit gâché. Aussi, il suffit d'une erreur de comportement dans la vigne ou à la cave pour que le vin soit raté. Tout le reste est entre les mains de la divine providence", conclut-elle avec humour.

Il y a dans le verre de vin que l'on déguste des millénaires de travail, de culture et de convivialité. L'histoire des grands crus retrace le fil d'Ariane qui relie notre époque moderne et scientifique à l'empirisme des temps anciens. Les gradins du Geisberg, qu'aujourd'hui couronnent les toits de Ribeauvillé, ont été, sans doute, recouverts des pampres depuis l'époque romaine. Lorsque le nom du lieu-dit apparaît en 1308, la cité vit sous la tutelle des seigneurs de Ribeaupierre, protecteurs des ménétriers et de la qualité des vins. La ville impériale connut son apogée au XVI siècle et devint le principal centre de commerce du vin de la région. Une chanson allemande de l'époque louait "les voituriers grands et petits qui mènent leurs chariots en Alsace et rapportent le bon vin". Parfois ce bon vin suivait d'étranges pérégrinations, comme le rapporte une chronique de 1426 : Un noble de Wurtenberg chargé d'une mission diplomatique auprès du roi de Danemark par l'empereur Sigismond, acheta à Ribeauvillé 330 hl de vin qu'il transporta par bateau le long du Rhin. La descente du fleuve nécessita tout un mois, puis il prit la mer jusqu'à Hambourg, où la cargaison repartit vers Lubek (Pologne) par l'Elbe. Au terme du voyage, la majorité du vin avait été vendue, saufs deux tonneaux que l'on expédia au roi de Danemark, à titre de cadeau et deux autres envoyés à Marienburg (Basse Saxe), pour le grand maître des chevaliers teutoniques.

La voie à l'exportation, comme l'on dirait aujourd'hui, existe ainsi depuis le Moyen Age. Elle n'était pas fortuite, elle suit le canal tracé par la poursuite d'un rêve héroïque et bien souvent brutal, à une époque où l'on croyait à l'unité spirituelle et qui faisait du vin un facteur d'ouverture et de réconciliation. Aujourd'hui, à l'heure de notre Union européenne, quelque peu défaillante sur le plan culturel, les apôtres du tout économique feraient bien de s'inspirer de l'esprit du vin.

Vous pouvez lire l'Avis du Connaisseur sur les vins issus de ce terroir.

Victor CANALES

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