Notes végétales

Kanzlerberg

A l'ouest de la commune de Bergheim, le grand cru Kanzlerberg se niche dans l'étroite vallée qui mène au village de Thannenkirch. Il est le plus petit des grands crus alsaciens. Sa surface, 3,23 ha, couvre l'ancien domaine de la Commanderie des Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem dont il tire le nom (mont Saint-Jean) et sa réputation séculaire. Le Kanzlerberg se situe dans le prolongement de l'autre grand cru de Bergheim, l'Altenberg, qui se dresse fièrement sur le flanc méridional du mont Grasberg.


Les deux terroirs, séparés par une faille géologique, cultivent leur différence et rivalisent dans la finesse de leurs vins. A l'imposante silhouette de l'Altenberg, s'oppose la discrétion du Kanzlerberg, dont les pentes inclinées vers la petite rivière qui coule à sa base distillent parcimonieusement leurs secrets. A une altitude moyenne de 250 mètres, orienté au sud et sud-ouest, il est moins ardent que son voisin, et la couleur grise et noire de ses marnes contraste avec l'aspect ferrugineux de l'Altenberg. Le Kanzlerberg est un terroir aux sols lourds, constitués d'argiles gris foncé refermant du gypse et des lambeaux calcaires en profondeur dans son extrémité sud. Parfois, des cristaux de baryte et de fluorine décorent les roches sédimentaires émergeant à la surface. Les vignes, en longues rangées parallèles, épousent l'inclinaison du terrain, exposant leurs fruits à la chaleur de l'été, tempérée par la fraîcheur du ruisseau camouflé dans la verdure et la brise légère qui s'échappe du massif boisé du Taennchel au fond de la vallée.

Notes végétales
Cet environnement paisible et la nature du terroir garantissent la naissance de vins d'exception. Des rieslings, gewurztraminers et tokays pinots gris de belle envergure. Bien structurés, amples et droits à la fois, toujours élégants et frais, explique Sylvie Spilmann, vigneronne affable et intrépide dont la cave juxtapose la coupole du Grand Cru. " La maturation prolongée du raisin dans ce terroir tempéré favorise la formation lente des arômes et le développement de la structure acide. Les rieslings acquièrent une acidité complexe et large qui emplit la bouche de fraîcheur. Quand le vin est jeune, elle peut paraître un peu dure, tirant vers les agrumes, mais elle n'est jamais agressive. Avec le temps, l'acidité s'arrondit dans le gras et se fond dans des notes végétales de fenouil et d'anis. Dans les gewurztraminers, elle dénote le cumin et le fruité discret. Le terroir modère les arômes du cépage en donnant aux vins une aisance que l'on ne trouve pas ailleurs. Les tokays pinots gris profitent de la maturation étalée pour se charger d'arômes de garrigue, de romarin, combinés à un agréable fumé. Ce sont des vins élégants, puissants et aériens, qui gardent une jeunesse fantastique tout au long de leur existence et peuvent se conserver au-delà de 20 ans."

Energie minérale
Il y a des grands crus où le riesling est sans contexte le cépage idéal, déclare Jean-marie Stoeckel, meilleur sommelier de France et promoteur de rencontres sur le vin, l'homme et le terroir. " Difficile à imaginer dans le Kastelberg d'Andlau autre chose que du riesling. Le paradoxe du Kanzlerberg, c'est qu'il convient à la fois au riesling et au gewurztraminer qui, en principe, demandent des terrains différents. Peut-être la réponse se trouve-t-elle dans le formidable véhicule d'expression qu'est le gypse. Mais il faut admettre que le terroir gardera toujours sa part de mystère et que l'on doit s'en tenir à l'empirisme des anciens. Des archives du début XXe siècle attestent d'ailleurs que le riesling était très tôt un cépage associé au Kanzlerberg."

Le comportement des sols est plus complexe qu'on ne l'imagine, ajoute Sylvie Spilmann. " Après la Deuxième Guerre mondiale, on a considéré la vigne comme une plante aérienne sans se préoccuper de ses racines. La terre n'était qu'un support que l'on malmenait avec des engins lourds et des produits chimiques. On oubliait que l'énergie solaire est inséparable de l'énergie minérale. Or, si le soleil est là pour tout le monde, la clé de la réussite pour faire un grand vin est enfouie sous la terre. Il faut comprendre le sol dans son intégrité, son fonctionnement, le comportement des racines afin de choisir le cépage qui en sera le meilleur vecteur et ensuite le travailler en le respectant, sans le martyriser par des désherbants, des engrais et des pratiques néfastes. Laisser faire la nature, en la protégeant, est le critère essentiel pour réussir un grand cru."

œuvre des Templiers
C'est sans doute l'observation et l'expérience de la terre qui conduit les Templiers, propriétaires du Kanzlerberg avant que leur Ordre ne soit supprimé en 1312, à installer leur demeure auprès de ce terroir. Charles Gerard, dans son Ancienne Alsace à table citait, en 1877, "les excellents crus du Tempelhoff et du Canzelberg. " En fait, ces deux noms désignaient un même lieu. Le Tempelhoff étant l'ancienne cour des Templiers située en face du Kanzlerberg et attribuée aux chevaliers de Saint-Jean lors de la suppression de l'Ordre des Templiers. " Cette confusion peut s'expliquer, nous raconte un habitant de Bergheim, par le fait qu'à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, on vendait le vin de l'Altenberg sous l'appellation de son voisin, comme le prouvent certaines factures de l'époque se rapportant à des commandes de Kanzlerberg supérieures à la quantité de vin que les trois hectares de vignoble pouvaient produire. " C'était une sorte de victoire de David sur Goliath, puisque jusqu'en 1829, le mont Saint-Jean apparaissait dans le cadastre confondu dans le Blosenberg, lieu-dit voisin qui s'étire vers l'ouest.

La terre prédisposée à produire du bon vin ne pouvait échapper à la perspicacité des Templiers qui, comme les autres chevaliers et moines du Moyen Age, développent la culture de la vigne et s'imposent en précurseurs de la qualité. C'est à ces dignitaires que Bergheim doit son passé mouvementé et son appartenance aux localités alsaciennes produisant les meilleurs crus.

Maisons vigneronnes
Les coteaux recouverts de vignes qui encadrent la cité médiévale soulignent l'imbrication de Bergheim dans son passé viticole. Sous le nom de Percheim, il est cité pour la première fois en 728, dans une donation à fameuse abbaye de Murbach que l'on retrouve, à cette époque, à l'origine de nombreux autres terroirs. Situé à l'emplacement d'une ancienne colonie romaine, Bergheim évolue entre les mains de plusieurs propriétaires : les Horbourg, les Ribeaupierre, les comtes de Ratsamhausen. La localité sera vendue plusieurs fois et rachetée par ses habitants, jusqu'à son intégration à la France, en 1648, après le traité de Westphalie. Dès le XIVe siècle, Bergheim est pourtant une "ville libre " qui frappe sa monnaie, dispose de ses propres tribunaux et accorde le droit d'asile aux fugitifs. Mais la commune est aussi un lieu redoutable pour les adeptes de la magie. " Le Tribunal des maléfices infligeait les plus terribles supplices aux femmes accusées de sorcellerie pour obtenir leurs aveux spontanés ou forcés ", rapporte la chronique. Si les pierres pouvaient parler, l'ancienne Tour des Sorcières érigée dans l'enceinte nord, nous raconterait l'absurdité et la cruauté des procès condamnant des nombreuses femmes à être brûlées vives sur le bûcher. Mais aujourd'hui, la vie s'écoule paisiblement à l'intérieur du double rempart qui ceinture la cité. Les maisons vigneronnes se resserrent autour du clocher solennel en souvenir du temps où l'on demandait au ciel de protéger le vignoble. Dans les ruelles tranquilles il n'y a pas de boutiques pour appâter le touriste qui passe à l'extérieur de l'enceinte. Bergheim, comme son grand cru Kanzlerberg, cultive la discrétion.

Vous pouvez lire l'Avis du Connaisseur sur les vins issus de ce terroir.

Victor CANALES

Le site https://www.alsace-du-vin.com/ utilise des cookies

Cookies de session anonymes (nécessaires au bon fonctionnement du site).

Cookies de mesure d'audience     Refuser Accepter