Selon les vignerons du lieu, le premier vin de messe cité en Alsace, vers 783, aurait été le Sigols, c'est-à-dire, le vin provenant du Sigoltesberg, le Mambourg actuel. Le caractère divin du terroir apparaît, en effet, dans toute sa splendeur dès l'époque carolingienne au regard de l'intérêt qui lui portaient les ecclésiastiques. Au VIIIe siècle, dit-on, la lointaine abbaye de Fulda n'hésita pas à falsifier des titres de propriété pour s'attribuer le vignoble de la colline. Un siècle après, l'aura de sainte Richarde, patronne de Sigolsheim et épouse infortunée de Charles Le Gros, petit-fils de Charlemagne, répandait dans les couvents de son orbite, et bien au-delà, l'émanation subtile du généreux terroir. Au Xe siècle, pas moins de sept abbayes, dont trois non alsaciennes, revendiquaient des possessions dans le Sigoltesberg.
Energie extraordinaire
Au cours du temps, la position stratégique de la colline est parfois venue contrarier sa destinée viticole, pour en faire un rempart de la ville de Colmar. Maintes fois son vignoble a été réduit à un champ de ruines. Cependant, il s'est toujours trouvé des vignerons pour le relever des désastres de la guerre. Ainsi après 1945, des hommes comme Pierre Spaar de Sigolsheim, ont préparé la renaissance du Mambourg, en promouvant ses vins sous l'appellation du lieu-dit, avant même son classement en grand cru.
Actuellement, la colline continue à captiver les vignerons de Sigolsheim et des communes environnantes. De Katzenthal jusqu'à Zellenberg, elle exalte l'imagination de ceux qui croient à la magie du terroir. Chacun à sa manière traduit les vertus du lieu dans la personnalité des vins, et si les démarches sont différentes, c'est que la montagne n'a pas encore livré tous ses sortilèges. "Le terroir me dépasse, il est plus fort que moi, je dois me mettre à son service pour le comprendre, pour saisir l'extraordinaire énergie qu'il referme dans ses entrailles," déclare à ce propos Jean Michel Deiss, vigneron de Bergheim, nouvel arrivant sur le Mambourg.
Les sols du Mambourg, gras et profonds, constitués d'argile, de silice et de calcaire, profitent d'un ensoleillement intense qui favorise les maturités exceptionnelles. Ses vins se caractérisent par leurs arômes fruités, floraux, riches, complexes dans leur structure, onctueux et d'une belle longueur en bouche. Dans ce milieu fertile, le gewurztraminer occupe 80% du vignoble. "On y trouve aussi des rieslings et des tokays pinots gris qui ont beaucoup de caractère, souligne Bernard Spaar, de la société Pierre Spaar, mais, c'est vrai que le gewurztraminer est de loin le plus significatif du terroir". "Ce cépage, sensible aux variations climatiques et qui réclame des sols de bonne consistance, s'exprime dans toute son ampleur dans les vieilles vignes", convient Marc Tempé de Zellenberg.
Equilibre des vins
L'écueil à éviter dans le Mambourg, est de se fier à la générosité du terroir, observe Frédéric Blanck de Kientzheim." La maîtrise de la vigueur de la vigne, nécessaire dans la plupart des grands crus, est ici une condition indispensable à l'équilibre des vins. L'opulence charnue des Mambourg a tendance à tempérer la structure acide. Mais bien menés, avec des rendements contrôlés, ils acquièrent une acidité fine, soutenue par un support tannique provenant de la présence importante de marnes dans le sol. Comparés à leurs voisins du Furstentum, les Mambourg sont en général plus rustiques. Dans leur jeunesse, ils sont fermes, un peu ours, mais leur étoffe annonce un vieillissement exemplaire." Ce sont des vins dont la prodigalité s'affine parcimonieusement. "Ils demandent à rester longtemps en bouteille, " convient Thierry Fritz de Sigolsheim. "Les vendanges tardives et les sélections de grains nobles deviennent des vins grandioses après 15 ou 20 ans de garde", ajoute Bernard Spaar.
Grandiose, c'est le terme qui inspire Jean Michel Deiss, artisan d'une approche originale des grands crus. Pour lui, le Mambourg doit devenir plus que le véhicule d'une variété de cépage, où alors il doit s'agir d'un cépage complexe. "Quand je suis devant ce paysage illuminé, je me dis que ses vins doivent incarner la grandeur qu'il dégage," dit-il. Convaincu que le Mambourg renferme des possibilités méconnues, il préconise de les explorer. D'abord, en éliminant les facteurs qui empêchent la vigne de dialoguer avec le sous-sol : les excès d'engrais, le réseau superficiel de racines antagoniste à l'enracinement profond de la plante. Ensuite, en prenant en compte le climat local, aussi important que la géologie. "Le Mambourg est le terroir de la zone qui reçoit le plus d'énergie, il est donc inutile de chercher à maximiser la surface foliaire, la vigne doit être basse, aussi prés du sol que possible, pour éviter que l'excès de feuillage ne s'interpose dans le résultat final," explique-t-il.
Remonter aux origines
Animé par ses expériences en cours, Jean Michel Deiss, propose un encépagement complexe, capable de dire la vérité du terroir, car, on ne crée pas une symphonie avec une seule note, affirme-t-il. " Je pars, dit-il, d'un terroir qui produit des vins avec une dimension tannique. Très proche des grands terroirs bourguignons, du calcaire du haut Volnay, à la frontière entre les blancs et les rouges. Donc je cherche un cépage adapté. Le plus proche est le tokay pinot gris, mais l'inconvénient est que la variété alsacienne est un clone sélectionné par sa productivité. Il n'a pas grand-chose à avoir avec celui de nos aïeux. Il faut donc retourner aux origines, c'est-à-dire au Beurot, un pinot gris rustique, peu productif, dont la complexité représente une interface entre le chardonnay et le pinot noir".
Nouveaux horizons
Il faudra attendre le résultat des ces innovations pour savoir si elles sont de nature à dépasser le "consensus mou au travers duquel on manipule la notion de terroir", comme l'affirme Jean Michel Deiss, ou si elles resteront une originalité dans le l'ensemble des potentialités du Mambourg. Pour le moment elles viennent élargir le débat sur la réalité plurielle du vignoble alsacien que traduit la quête de nouveaux horizons.
Quelle que soit la légitimité des élans créateurs au niveau local, les vignerons devront avoir une vision d'ensemble, car l'Alsace est aussi une appellation collective estime Marc Tempé. "Il faut éviter une attitude iconoclaste qui pourrait aboutir aux erreurs commises en Allemagne, déclare-t-il " Le danger serait de croire que ce que l'on fait maintenant est parfait. On rase alors des montagnes et cela conduit à une catastrophe écologique." La démarche de tout vouloir bouleverser peut compromettre le futur, observe-t-il. "Préconiser l'abandon de la notion de cépage en Alsace me paraît dangereux, car nous sommes dans une région qui peut réussir, précisément à cause de son microclimat, là où les autres échouent. Nos cépages sont bien adaptés à notre climat et cette relation constitue une référence unitaire et culturelle".
Un grand vin est le fruit du terroir mais aussi le résultat du comportement du vigneron. Il est indéniable que la vigne doit dialoguer avec le sous-sol pour que le vin exprime la quintessence du terroir. Mais pour que ce dialogue ait lieu, il faut encore que le sol soit vivant afin que les micro organismes permettent à la plante d'assimiler les substances en profondeurs, souligne Marc Tempé. Quant à savoir si l'on peut faire un grand vin avec un cépage unique, cela dépend de l'âge de la vigne et du travail du vigneron, précise-t-il. "C'est vrai que, dans les grands crus, 'il existe un problème avec les clones, car ils conduisent à l'uniformité, à la reproduction de l'identique, mais lorsqu'on utilise des vieilles souches, l'on n'est plus face à une seule note, mais face à une gamme où il y a autant des notes que des souches différentes. Il serait dommage d'arracher des parcelles de gewurztraminer, de 20 ou 30 ans, alors qu'elles permettent d'élaborer des vins extraordinaires". L'important est d'avoir un plan d'encépagement et de vinifier en fonction des parcelles, le gewurztraminer, par exemple, ne donnera jamais de grands vins sur des terrains granitiques, ajoute Frédéric Blanck. "Quand la culture de terroir guide la démarche, le problème de cépage se résout de lui-même. ".
Le débat autour du Mambourg souligne, à l'évidence, l'impossibilité de réduire un grand cru au discours qu'il inspire. Derrière la part de mystère que le terroir renferme, il y a l'humanité des vignerons faite d'interrogations, de dialogue et de travail. Chacun interprète, selon sa sensibilité et son expérience, le langage de la terre véhiculé par le vin. Mais au-delà des divergences apparentes, il est un objectif commun à tous les vignerons : celui d'asseoir le grand cru Mambourg sur le trône de la qualité.
Vous pouvez lire l'Avis du Connaisseur sur les vins issus de ce terroir.
Victor CANALES
Le site https://www.alsace-du-vin.com/ utilise des cookies
Cookies de session anonymes (nécessaires au bon fonctionnement du site).
Cookies de mesure d'audience | Refuser Accepter |