Autrefois appelé Markenrein, ce terroir porte dans son étymologie alémanique le signe de la pureté. Adossé au flanc de la colline qui domine la localité de Bennwihr, il grimpe en pente douce vers l'amont, en grignotant quelque peu le territoire de Sigolsheim en bordure du grand cru Mambourg. Au sommet, la Nécropole nationale garde le souvenir des combats terrifiants livrés fin 1944 depuis ce poste avancée de la "la poche de Colmar". Cependant, le grandiose panorama qui s'ouvre sur le vignoble impose au regard une trame plus édifiante de l'histoire. Les coteaux ondoyants, le pentes défrichées, l'architecture agençant la multitude de parcelles nous livrent une œuvre accomplie, au-delà des vicissitudes, par les artistes de la terre.
Routes des Celtes
A Bennwihr, cette œuvre trouve origine dans l'inspiration presque mystique des premiers évangélisateurs, pour lesquels la culture de la vigne était le plus court chemin pour atteindre le Créateur. Le nom latin du village, Bebonis villa, le domaine de Bebo, apparaît pour la première fois en 777 dans un document de saint Fulrad, abbé de Saint-Denis, originaire de Saint-Hippolyte, et, selon la chronique, usurpateur de certains titres de propriété de terroirs prestigieux. Le "domaine" se situait sur la route des celtes qui longeait les contreforts vosgiens et qui aujourd'hui porte le nom de "route du vin". Dans cette contrée, comme dans d'autres lieux remarquables du vignoble alsacien, de nombreuses communautés religieuses se partagent la propriété des vignes avec des laïcs, depuis le Moyen Age jusqu'à la Révolution. Les abbayes de Luxeuil, de Liepvre et d'Ebermünster côtoient les chevaliers Teutoniques de Colmar et les seigneurs de Wurtemberg. La zone est, cependant, inféodée à l'évêque de Strasbourg qui, successivement, a délégué ses droits aux comtes de Horbourg, ceux de Ribeaupierre puis de Birkenfeld.
Essor viticole
Lorsque, après le Révolution, la terre revient à ceux qui la travaillent, les gens de Bennwihr que la légende qualifie de "pêcheurs de lune" (mondfanger), sont "assez rêveurs" pour préserver l'exemplarité de leur vignoble en dépit des aléas de l'histoire. Ainsi, pendant la période allemande, de 1870 à 1914, "les longues files de voitures chargées de fûts, faisant la queue en gare de Bennwihr pour y décharger leur précieux liquide", attestent, selon la chronique, de l'essor viticole de la localité. Plus tard, à l'issue de la Deuxième Guerre mondiale, il ne restera du village qu'un champ de ruines et du vignoble un paysage éventré par les tranchées et les éclats d'obus. Mais Bennwihr sera reconstruit et récupérera son caractère alsacien harmonieusement intégré dans l'environnement. Quant au vignoble, devant l'étendue des dégâts, les vignerons décideront d'unir leurs efforts au sein d'une coopérative érigée à la base du grand cru Marckrain. Cela explique que, actuellement, il n'y ai que trois vignerons-récoltants dans la commune. Trois mousquetaires pourfendeurs de la facilité.
"La solution d'après la guerre, raconte l'un d'entre eux, était la plus adéquate pour l'époque. Elle permettait de repartir dans un même élan, de définir une conduite commune, rationaliser le travail et accroître le potentiel commercial. Mais avec le temps, cela a entraîné une certaine dérive. Beaucoup de viticulteurs ont agit et continuent à agir en fonction des plans établis par des techniciens, sans se poser des questions sur leur responsabilité personnelle et en ignorant l'évolution dans le monde du vin. Le confort a engendré le conformisme." Au moment de la baisse des rendements et de la conduite écologique du vignoble, il n'est pas évident, par exemple, de trouver des volontaires pour réduire l'arcure des serments et appliquer la lutte raisonnée contre les maladies, explique, un autre vigneron-récoltant, Michel Foné de Bennwihr : "Beaucoup continuent à labourer la vigne sans se préoccuper des conséquences pour la faune et la flore et rechignent quant il s'agit de réduire la production." A cela se greffe la confusion existante entre degré d'alcool et qualité du vin. Pour certains, le degré minimum imposé pour les grands crus est devenu une course au maximum de degrés, ce qui abouti à des vins ronds et puissants, plaisants à la dégustation, mais sans caractère en gastronomie.
Comprendre le terroir
Le vigneron cultive la vigne et celle-ci transforme le vigneron, pourvu qu'il sache interpréter les messages qu'elle lui envoie. Dans le terroir marno-calcaire du Marckrain, exposé sud et sud-est, aux sols lourds et profonds, la personnalité du vin vient du sous-sol, de la richesse en matière concentrée qu'il ne faut pas confondre avec le degré oechsle. "La concentration de matière est le résultat d'une conduite exigeante de la vigne, du respect du sol, de l'enracinement qui règle le métabolisme de la plante et établit un équilibre entre sucre, acidité et arômes dans le raisin", affirme Michel Foné. Lorsque ces critères sont observés, les vins du Marckrain sont certes capiteux, à l'instar de ceux du Mambourg, mais ils expriment une grande complexité aromatique, une saveur épicée et une acidité fraîche qui atténue la chaleur de l'alcool. Ces caractéristiques se retrouvent dans les deux cépages qui dominant dans le grand cru : le gewurztraminer et le tokay pinot gris. Un troisième cépage, le muscat, fait aussi le bonheur des connaisseurs par son côté ample et craquant.
Parfois, il faut s'éloigner de son clocher afin de mieux comprendre son terroir et lui assurer un avenir. L'échange d'expériences permet de mettre en valeur le potentiel local. Parler des vins d'Alsace à New York, à Montréal ou Johannesburg, ou tout simplement entre vignerons du Haut et du Bas-Rhin, c'est déjà anticiper le futur. Cela permet, entre autres, de comprendre que le consommateur est en train de se lasser des vins trop pommadés, qu'il il revient vers des vins sec et frais tels que les terroirs alsacien peuvent les offrir.
Acte créateur
Dans l'immense marché mondial, le champ est assez vaste pour accueillir tous les aspects de la diversité, estime Bea Schaetzel d'Ammerschwihr, vigneronne sur le Marckrain. "Les vins d'Alsace peuvent y avoir une place unique, pourvu que l'on fasse un minimum d'effort, c'est-à-dire que l'on sorte de l'autosuffisance qui brime la curiosité", dit-elle, l'œil pétillant d'esprit et de malice. Avec son mari Martin, ils ont choisi d'intégrer la démarché biologique dans la vigne et dans la cave, "non pas pour rechercher un effet marketing, mais par conviction", précise-t-elle, "car le vin parle de l'âme, de celle du terroir bien sûr, et de celle du vigneron sans aucun doute". Participant à l'ensemble des tâches de l'entreprise, elle essaye d'introduire sa touche de féminité, "un peu de souplesse dans la rigueur, un peu de fantaisie et d'audace dans la prudence masculine". Et pour mieux nous rappeler que produire du vin est un acte créateur, la carte des vins de Martin Schaetzel se transforme en florilège à la gloire de poètes qui ont chanté la force occulte du nectar de la vigne, depuis Charles Baudelaire saisi par le "chant de joie, de lumière et d'espérance " de la divine bouteille, jusqu'au poète et astronome Persan du XI siècle, Kâyyam, qui recommandait de "boire et aimer sans freins " afin de sentir l'existence dans toute sa plénitude.
Kâyyam disait aussi " Bois du vin tout doucement et joue ta harpe... Personne ne parvient à gagner l'amour d'une jeune fille au visage aussi frais que la rose, sans avoir reçu auparavant dans le cœur les morsures des épines ". Une épigraphe qui pourrait figurer sur les vins du Marckrain, amples, complets et riches, de cette fraîcheur qui réjouit le cœur.
Vous pouvez lire l'Avis du Connaisseur sur les vins issus de ce terroir.
Victor CANALES
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