Selon la légende, l'impératrice des Francs, Sainte Richarde, se serait retirée dans cette contrée "sauvage, où il avait plus d'ours que d'hommes", après avoir été répudiée par son lourdaud de mari, Charles le Gros, sous prétexte d'infidélité. Sortie "blanche comme neige" de l'épreuve du feu qu'elle s'imposa pour prouver son innocence, l'impératrice bienfaisante et douce fit bâtir "un couvent pour les pauvres et déshérités", (en réalité une abbaye princière pour les jeunes filles de la noblesse) à l'endroit où une ourse faisait boire ses petits.
Signe du ciel ou récupération par la religion chrétienne des anciens mythes païens ?
L'abbaye d'Andlau fondée par l'impératrice vers 880, s'eléva, nous dit-on, à l'endroit même où s'érigeait le "dolmen de la fécondité" vénéré par les populations gallo-romaines.
Les croyances populaires constituent souvent le fond spirituel de l'expérience empirique accumulée au cours du temps."Jadis on édifiait les lieux de culte dans les endroits où le magnétisme terrestre manifestait fortement sa présence. La sensation de bien-être que l'on éprouve dans ces endroits serait le résultat des vibrations provenant de l'activité interne de la terre ", explique un habitant d'Andlau, convaincu que l'emplacement de la localité, à la jonction de plusieurs aires géologiques, est une source d'énergie tellurique.
Lieu de recueillement, où les femmes celtes venaient puiser la fertilité légendaire de l'ours, site miraculeux pour les nombreux pèlerins qui viendront, par la suite, demander aux reliques de Sainte Richarde la guérison de leur mal de jambes, Andlau, comme tous les terroirs d'exception, deviendra aussi un centre florissant du vignoble avec la bénédiction de la papauté et sous la protection des seigneurs d'Andlau juchés sur leur château en haut de la montagne. Aujourd'hui la localité abrite, en plus du Moenchberg partagé avec Eichhoffen, deux autres grands crus classés: le Wiebelberg et le Kastelberg.
Esprit chevaleresque
L'histoire fabuleuse qui se trame autour du vignoble d'Andlau assoie sa renommée au cours des siècles. Selon Jean-Louis Stoltz, auteur de la célèbre Ampélographie Rhénane, publiée en 1852, la plupart des versants est et sud de la vallée d'Andlau étaient complantés de vignes dès le VIIe siècle. D'autres affirment que la vigne dans les parages remonte au temps des celtes. Mais c'est avec l'arrivée de Sainte Richarde, au IXe siècle, que la culture du vin prend tout son essor. Alors que les abbesses semblent avoir une préférence pour le Kastelberg, les moines d'Altorf mettent en valeur le Moenchberg, auquel ils donnent leur nom ( le Mont des Moines) ; le premier est cité pour la première fois en 1064, le deuxième en 1097.
L'abbaye relevant directement du Pape se trouve prédestinée à devenir le fournisseur privilégié de bons crus du Vatican. Autour d'elle se développe la ville d'Andlau, empreinte d'esprit chevaleresque que maints ordres, comme la Commanderie des Templiers ou celle des Chevaliers Teutoniques, se chargent de concrétiser avant la légende, inspirés par le charme des gracieuses pensionnaires de l'abbaye, libres de tout serment religieux, selon le voeu de sa fondatrice. La mésaventure des ses tristes noces avaient certainement convaincu Sainte Richarde de la primauté des élans du cœur.
Aujourd'hui , la Confrérie des Hospitaliers du Haut d'Andlau, ressuscitée en 1980, perpétue le sens de l'hospitalité et du bon vin, tout comme le grand cru Moenchberg, classé en 1983, perpétue l'héritage d'une longue tradition de vignerons soucieux de transmettre dans le vin la fidèle expression de la géologie du terroir, de son relief, de son microclimat. Sa notoriété, vieille de plus de mille ans, témoigne de cette profonde relation entre le travail des hommes et les éléments de la nature.
Le cycle de la vie
La diversité des sols autour d'Andlau a fait de cette contrée un véritable laboratoire dans la recherche de l'adaptation du cépage à la géologie du terrain. Sur la roche granitique qui domine le pays sont venus se superposer, au cours des âges, des dépôts sédimentaires pour donner naissance à des substrats aussi variés que le schistes de Steige dominant dans le Kastelberg, le grès des Vosges dans le Wiebelberg, ou le limono-marneux du Moenchberg à tendance marno-calcaire au sommet.
L'exposition et le climat particulier du lieu-dit complètent les vertus du sol. Dans le Moenchberg, seul le versant sud du coteau, où les raisins sont assurés d'atteindre une maturité parfaite, a droit à l'appellation grand cru :" Quand la vigne n'est pas tournée vers le soleil, la qualité du vin se trouve sérieusement affectée", disaient les anciens vignerons.
"Dans nos terroirs, explique Marc Kreydenweiss, vigneron-récoltant d'Andlau, le rôle de l'homme consiste à permettre à la vigne de s'autoréguler, en lui facilitant les échanges entre les éléments du milieu naturel, le sol, l'eau, l'espace qui contribuent au cycle de la vie". Adepte d'un environnement sain, il préconise une démarche "biodynamique", basée sur l'observation du comportement de la plante par rapport à la rotation des astres, de façon à lui faciliter la transformation de la matière organique par l'apport d'énergie, à base de compost , aux moments précis de ses besoin. Une approche cosmique de la viticulture inspirée des conceptions du Docteur Bernard Hein, Grand Astrologue de la Confrérie d'Andlau, que Marc Kreydenweiss se flatte d' appliquer au quotidien.
Lorsqu'on lui demande s'il ne va pas un peu loin en défendant l'observation absolue de ces principes, il rétorque: "La connivence, autrefois, entre l'homme, les astres et le milieu naturel, est à l'origine de la mise en valeur de nos terroirs, aujourd'hui il s'agit d'assurer leur pérennité". Son comportement de "puriste" l'a amené a donner sa préférence à la culture du pinot gris sur le Moenchberg alors que plus de 80% du grand cru est complantée en riesling.
"Le côté limoneux de ce terroir s'adapte mieux à la générosité d'un pinot gris qu'à la vivacité d'un riesling" , affirme-t-il, ajoutant qu'un "riesling grand cru doit être subtil et viril , avec une palette aromatique à la fois discrète et persistante en bouche et une droiture qui s'affirme tout au long du repas. Seuls les schistes, les grès et le granit permettent de produire de tels vins", conclut-il conscient que son point de vue est loin de faire l'unanimité.
Générosité
"Existe-t-il un riesling type qui servirait de référence pour tous les autres rieslings?", se demandent à cet égard Remy Gresser d'Andlau et Albert Maurer d'Eichhoffen, promoteurs des terroirs à une époque où il y avait plus de détracteurs que de partisans de la notion "grand cru". "Si cela était le cas, il n'y aurait pas de terroirs", déclarent en coeur ces deux fervents défenseurs du Moenchberg.
La richesse des grands crus est de proposer une diversité de vins dont le dénominateur commun est d'être fidèles aux caractères des terroirs dont ils sont issus. Les nuances de terrain dans le Moenchberg donnent lieu à la présence de trois cépages: riesling dans la plus grande partie et en particulier sur le coeur constitué de conglomérats de Muschelkalk , pinot gris vers le milieu limono-marneux et gewurztraminer en bas, où domine l'argile.
Ces vins se caractérisent par leur générosité avenante, un corps qui donnent la sensation de les palper et une expression aromatique fruitée et flatteuse dans leur jeunesse. "Les rieslings ont des arômes et des goûts minéraux discrets, auxquels s'ajoute une agréable nervosité", souligne à dessein, Gaby Wach, charmante vigneronne d'Andlau. Les pinots gris et les gewurztraminers peuvent être puissants avec des arômes riches de rose, de coing, de fruits exotiques, de miel d'acacia et une empreinte minérale discrète, signature du terroir.
Au XVI siècle, le théologien Jacob Wimphelin, disait des vins d'Andlau qu'ils "valaient mieux dans des gobelets de bois ou de terre que ceux de la Zorn et du Kochersberg dans des coupes d'or". Ce n'est pas un hasard si certains vignobles n'ont pas survécu à la marche du temps, l'idée même que l'on ait pu cultiver du vin dans la Zorn a, aujourd'hui, quelque chose de saugrenu! Jean-Louis Stoltz, pour sa part, situe la trilogie d'Andlau, le Kastelberg, le Wiebelsberg et le Moenchberg, parmi les meilleurs crus de la région.
L'expérience des anciens est le réservoir de la mémoire de la terre dans lequel le présent peut se ressourcer. Lorsque la mémoire est défaillante, les erreurs prennent le pas. Andlau, comme toute l'Alsace, n'a pas pu résister, à un moment donné de son histoire, aux chants incantatoires du négoce et du productivisme. Son vignoble a souffert de l'oubli de certains terroirs et de l'abandon du travail de la vigne pour le travail à l'usine. Des communes comme Eichhoffen, sur laquelle repose la majeure partie du Moenchberg, ont pratiquement perdu leur identité vigneronne au cours de notre siècle.
"Quand nous avons acquis nos parcelles dans le Moenchberg, en 1969, peu de gens avaient alors conscience de la véritable valeur de ce terroir ", explique Jean Pierre Gilg, descendant d'une longue lignée de vignerons établie à Mittelbergheim depuis le XVI siècle. "Aujourd'hui, les riesling de ce grand cru sont ceux qui accueillent le plus facilement les faveurs des dégustateurs à l'aveugle".
Philosophie de terroir
Le dynamisme d'autrefois rejaillira sous l'impulsion des jeunes vignerons résolument décidés à renouer avec leur riche tradition. Une tradition dont la Confrérie des Hospitaliers d'Andlau est l'incarnation," tout ce qui se fait dans la localité, trouve son origine en elle", déclare Rémy Gresser. "Mais il ne faut pas se leurrer, explique-t-il, le respect de la tradition ne veut pas dire retour aux siècles passés. Il serait idiot de s'échiner à travailler comme nos ancêtres alors qu'on a des moyens modernes pour nous faciliter la tâche. La tradition signifie préserver l'esprit d'autrefois en l'intégrant aux circonstances ".
Le plus important, pour ce solide gaillard pragmatique, est d'avoir la passion de la terre. C'est cette passion, assure-t-il, qui permet de faire la différence entre le viticulteur et le vigneron. Alors que le premier est guidé par des impératifs de marché, de rentabilité, le vigneron authentique obéit à une philosophie de terroir, d'environnement, c'est un véritable paysan dans le sens noble du terme. Comme la nature, son comportement suit une évolution lente dominé par la notion de pérennité.
Au travers de la passion de la terre transparait l'enthousiasme chevaleresque engendré autrefois par l'amour de la beauté des choses. La chevalerie est morte, mais son esprit est toujours vivant à Andlau.
Carte d'identité
Grand Cru Moenchberg, classé en 1983,
11 ha environs.
Situé sur les finages des communes d'Eichhoffen et Andlau, entre 230 et 260 m d'altitude.
Ses sols profonds, reposent sur des matériaux soliflués au quaternaire, constitués d'une matrice limono-argileuse. Recouverts de conglomérats de Muschelkalk vers la crête; argileux vers le bas de la pente.
L'exposition sud, sud-est, procure un ensoleillement maximum à la vigne, bien abritée des vents par le massif vosgien, et jouissant d'une bonne hygrométrie du fait de la présence de la rivière Andlau à la base du grand cru.
Encépagement: principalement riesling, mais aussi pinot gris et gewurztraminer.
Vous pouvez lire l'Avis du Connaisseur sur les vins issus de ce terroir.
Victor CANALES
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