A l'écart des affluences touristiques, le Muenchberg émerge dans un environnement sylvestre où le temps paraît se figer dans le murmure de la petite rivière qui serpente à sa base. Ses vignes épousent le flanc de la colline, en forme de croissant de lune, tournée vers le sud. Protégées à l'ouest par la montagne de l'Ungersberg, dont la crête s'élève à plus de 900 mètres, et à l'est par de reliefs boisés, elles prodiguent leurs raisins délicats dans une quiétude qui semble immuable depuis des siècles. Ce sont des moines cisterciens, installés dans l'abbaye de Baumgarten, derrière la colline, qui, au XIIe siècle, découvrirent les vertus du lieu et mirent à son service l'expérience vigneronne de leur congrégation. Un lien d'intimité s'établit entre le terroir et ces œnologues des temps anciens, créateurs de crus sublimes en Bourgogne, qui se manifeste encore aujourd'hui dans le nom du Muenchberg, la colline des moines, et la notoriété des ses vins.
Réservoir d'inspiration
Nothalten, qui était un fief de la seigneurie d'Andlau jusqu'à la Révolution de 1789, était aussi un territoire sur lequel la chevalerie impériale bas-rhinoise disputait ses droits à l'évêque et à la ville de Strasbourg, ainsi qu'au couvent d'Hohenbourg (l'actuel Sainte-Odile), où l'abbesse Herrade de Landsberg avait, au XIIe siècle, initié ses novices à l'illustration du Jardin des Délices. D'autres centres religieux, comme le monastère badois d'Ebersheimmünster se situaient aussi dans la mouvance des zélateurs des vins de Nothalten, entérinant une réputation dont le Muenchberg portait la bannière.
Aujourd'hui, alors que l'abbaye de Baumgarten est devenue une résidence privée, le grand cru, classé en 1992, continue à transmettre l'héritage idéalisé par les moines il y plus de huit siècles. Ses dix-huit hectares de vignoble, essentiellement complantées de riesling, sont un réservoir d'inspiration pour les artisans de vins de caractère. Ce qui rend le Muenchberg unique, c'est d'abord sa constitution géologique, raconte André Ostertag, vigneron-recoltant à Epfig, commune proche de Nothalten. " Dans ses sols, formés par des sédiments vieux de plus de 250 millions d'années, dominent les grès en décomposition, mais on y trouve aussi, à côté d'autres minéraux, des dépôts volcaniques dont on ignore la provenance. Aucun autre terroir de la région ne possède ce profil. Cette originalité s'exprime vigoureusement dans la personnalité des vins. Les grands crus Muenchberg procurent des sensations gustatives que l'on ne trouve pas ailleurs. Plus que le nez, ils sollicitent le palais. Au-delà de la classe et de l'élégance de leurs arômes, ce qui les rend incomparables, c'est la façon dont l'acidité s'exprime. Dans certains terroir comme le Fronholz (lieu-dit situé à Epfig), l'acidité transperce le palais, au Muenchberg, elle est gourmande et excitante. "
L'homme et le terroir
Les vins du Muenchberg s'édifient sur une colonne vertébrale autour de laquelle se distillent les arômes de fruits mûrs et de terroir, estime pour sa part Armand Landmann de Nothalten. " Au premier abord, la minéralité est discrète, fondue dans des notes d'anis, de réglisse, de gingembre, parfois de mangue, de mirabelle et de fraises de bois, selon le millésime. Mais très vite, l'ensemble s'articule autour d'une acidité enveloppante qui prolonge le plaisir en bouche. " Le secret de cette alchimie réside dans la nature du terroir et la relation que le vigneron entretient avec lui. " Le terroir est le climat et la géologie révélés par l'homme ", affirme André Ostertag.
D'une part, il y a le choix du cépage qui doit synthétiser les substances de l'air et de la terre et de l'autre l'expérience que le vigneron transmet à sa vigne. S'il plante un cépage inadapté au terroir, il n'y aura pas de communion et les fruits seront orphelins. Loin d'obéir à l'application des principes extrapolés par des techniciens du sol, le choix du riesling comme véhicule du Muenchberg traduit l'expérience accumulée de plusieurs générations, déclare Patrick Meyer, du domaine Julien Meyer de Nothalten. " Le riesling est le roi des terrains pauvres. C'est un cépage qui aime l'ascèse et l'ensoleillement tardif. Dans le Muenchnberg, les deux éléments coexistent : une faible teneur en matière organique, du fait du côté filtrant du terrain sablonneux et un emplacement où le moindre rayon de soleil réchauffe les sols à l'arrière saison, et permet au raisin d'achever admirablement son cycle de maturation."
Ces facteurs engendrent une acidité multidimensionnelle et complexe dans les vins, dans laquelle la marque du cépage s'efface pour laisser place au terroir. Mais pour que celle-ci se manifeste dans toute sa plénitude, il faut encore que deux autres exigences soient respectées, souligne Patrick Meyer : " D'abord que la vigne ne souffre pas de stress hydrique et ensuite qu'elle ne soit pas mise sous perfusion par le vigneron. Si l'année est trop sèche, l'acidité en sera affectée. Il préférable alors de ne pas faire de grand cru. De même, si l'on apporte des engrais chimiques au terroir, il sera dénaturé. "
Caractère fort
Chaque vigne a un potentiel qualitatif qui dépend de son âge et du terroir où elle s'enracine. Si on l'oblige à donner plus, sa substance se dilue, disait un précurseur de la qualité des vins d'Alsace. Le vigneron qui veut faire du grand cru doit bien connaître son terroir, et " on ne le connaît bien qu'en le portant dans ses tripes ", remarque André Ostertag. Autrement dit, il faut l'aimer pour comprendre sa nature profonde et le respecter ; ne pas le torturer à coup de fertilisants, d'insecticides ou autres produits agresseurs et, par conséquent, savoir ignorer les conseils d'experts qui préconisent les mêmes normes de conduite pour l'ensemble du vignoble français. " Comment parler de terroir quand on institutionnalise les comportements? ", se demande Patrick Meyer. " Un grand cru est un caractère fort avec beaucoup de liberté autour ". Liberté du terroir de pouvoir exprimer sa vérité et liberté du vin de la confirmer dans la bouteille. " On oublie souvent une chose élémentaire, précise-t-il, c'est qu'un grand vin se fait dans la vigne et non pas dans la cave. Un grand cru n'accepte aucune intervention externe au niveau de la vinification ; ni acidification, ni désacidification, ni chaptalisation. "
Vin qui interpelle
Pourtant, beaucoup de vignerons semblent se promener encore dans leurs vignes avec une calculette dans la tête. " Ils ont intégré le concept de grand cru, mais uniquement du point de vue commercial et cela leur porte tort, car finalement le consommateur fait la différence. ", nous disait un sommelier parisien. Cela explique que, sous l'appellation grand cru, l'on trouve des vins formidablement gommés. Ils sont bons, avec du sucre résiduel, et une acidité corrigée, mais tellement complaisants qu'ils sont tristes. " Je préfère un vin de caractère quelque peu rustique, à un vin technologiquement parfait ", concluait le sommelier.
A l'abri des parfums d'apothicaire qui flottent sur le marché, le grand cru Muenchberg continue à favoriser l'émergence d'individualités qui croient aux grands vins blancs sans fioritures, des vins qui interpellent le consommateur et lui font découvrir l'intimé qui lie le vigneron à son terroir.
Victor CANALES
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