Le Saering se détache de l'assise rocheuse de l'Oberlinger descendant vers la plaine, où il forme une sorte de mamelon calcaire sur lequel sont venus se déposer des conglomérats à galets gréseux et des débris de roche granitiques. Le mamelon se dresse telle une sentinelle aux avant-postes de l'entrée du Florival. La nature particulière de ce terroir a longtemps intrigué l'imagination populaire qui voyait dans ce bloc calcaire, isolé dans un univers de grès et de granit, un vestige de la mer recouvrant jadis la vallée du Rhin.
Selon la légende, le nom Saering viendrait du mot seering désignant un anneau de fer que l'on aurait trouvé un jour scellé à un rocher et qui aurait servi à amarrer les vaisseaux alors que la vallée était une immensité marine. Le peuple donnait ainsi une explication logique aux dislocations tectoniques qui, au cours des âges géologiques, ont fait jaillir la pierre tendre du sous-sol à la surface de la terre.
L'Abbé Braun, chroniqueur des "Légendes du Florival", voyait, pour sa part, dans l'étymologie du mot Saering l'origine d'un camp romain : "Un camp de cette espèce, dont on voit encore les retranchements, écrit-il en 1866, se trouvait sur le plateau du Sehring (ancienne orthographe), à l'entrée de la vallée de Guebwiller. On sait que les Germains désignaient leurs camps par le mot ring et ce nom-même de Seh-ring pourrait très bien, dès lors, avoir servi à désigner un camp d'observation." C'est précisément à cet endroit magique, "d'où l'on peut tout voir, même les esprits, sans être vu de personne", que l'Abbé Braun situe la demeure du dieu Odin, gardien des trésors de la nature dans la mythologie germanique.
Essence du vin
Nature, histoire et mythes se confondent dans le temps pour créer un monde symbolique dans lequel la réalité d'aujourd'hui semble se concrétiser. Au travers des traditions, le Saering, tout comme le Kitterlé ou le Kessler (l'ancienne Wanne), s'est perpétué comme une œuvre d'art sans cesse restaurée par le travail des vignerons. Occupé et certainement cultivé depuis Jules César, le Saering est cité pour la première fois en 1250, à une époque où la turbulente noblesse de Guebwiller dispute à l'abbaye de Murbach l'accomplissement de sa souveraineté féodale sur la contrée. Les vins du Saering, comme les autres crus voisins connaîtront leur apogée au cours du XIVe siècle en transitant par les routes de Bâle et de Lucerne en direction de L'Autriche. Dès 1830, les vignerons de Guebwiller et Bergholtz les commercialisent sous le nom du lieu-dit.
Le dieu de la mythologie, nous dit-on, se nourrissait de la plus fine fleur de farine et buvait la plus pure essence du vin. Aujourd'hui, comme autrefois, les vignes du Saering dominent la fertile plaine céréalière. Les hommes s'appliquent, même sans le savoir, à satisfaire les désirs de dieux. "Quelle que soit la cave d'où ils proviennent, les vins du Saering sont de réels vins de plaisir ; ils ont élégants, fins, tout en dentelle," constate Gilbert Mestrallet, sommelier au "Crocodile ", à Strasbourg, au cours d'une dégustation comparative des quatre noms présent sur le grand cru : Dirler, Loberger, Rominger et Schlumberger ; quatre vignerons qui préservent, chacun à leur manière, la fidélité au passé en élevant des vins délicieux capables d'enfanter les légendes.
Tendresse du calcaire
Moins abrupt que le Kitterlé et de constitution géologique fort distincte, le Saering se montre plus docile dans sa morphologie et dans la typicité de ses vins. Protégé des vents froids par le massif vosgien, orienté vers le sud-est, bénéficiant d'une bonne hygrométrie, la vigne peut s'y épanouir précocement pour donner le meilleur d'elle-même. Riesling et gewurztraminer dominent le terroir, avec une prédominance du premier cépage sur le second.
"La nature sablonneuse du sol, reposant sur du calcaire jurassique, est particulièrement favorable au riesling", explique Jean Pierre Dirler de Bergholtz. "A la robustesse léguée par le granit, Saering oppose la tendresse du calcaire ", déclare Eric Beydon-Schlumberger. "Ses rieslings se démarquent par leur caractère floral, et un agréable fruité dès la prime jeunesse, moins vifs que ceux du Kitterlé ou du Spiegel, ils ont une acidité plus fondue, plus ronde et un aspect minéral plus discret", ajoute son collègue de Bergholtz, Eric Rominger.
A l'inverse, les gewurztraminers du Saering ont tendance à se relever d'une telle vivacité qu'il faut attendre trois ou quatre années pour pouvoir bien les apprécier : "ils expriment plus fortement les nuances du terroir", affirme Joseph Loberger, artisan vigneron à Bergholtz. Ce contraste souligne la particularité de chaque cépage, remarque Jean-Paul Sorg, chef de cave du Domaine Schlumberger : " Le riesling, comme le chardonnay, s'adapte à une multitude de sols, même si dans chaque endroit il acquiert un caractère différent ; alors que le gewurztraminer, plus sensible au micro-terroir, n'atteint sa typicité que dans son berceau alsacien."
Au-delà du cépage, les vins du Saering suivent un fil conducteur, celui de la qualité : "l'harmonie et l'excellente vinification qu'ils dénotent soulignent la sagesse des vignerons" observe Gilbert Mestrallet. "Notre souci, déclare Eric Rominger, est d'établir un équilibre entre les potentialités du terroir et les exigences du marché qui permette de récompenser nos efforts. "
Maîtrise de la qualité
Elargissant la réflexion à l'ensemble du vignoble, E. Beydon-Schlumberger estime pour sa part que l'essentiel est d'affirmer l'identité des vins d'Alsace : "Il serait inadmissible que l'on utilise les difficultés conjoncturelles comme prétexte à un certain laxisme, affirme-t-il. Dans notre région, poursuit-il, il y a 50 % de vignerons qui affrontent les vents et les marées et 50 % qui se tiennent à l'abri des tempêtes. Or un vignoble qui ne marche qu'à moitié dans la mise en avant de son image et de sa créativité est un vignoble difficile à gérer".
Ce bâtisseur infatigable de remparts sur les pentes hostiles de l'Oberlinger, se défend de prôner l'élitisme : "il s'agit de responsabiliser l'ensemble de la profession, parce que les anonymes font aussi partie de l'entreprise Vins d'Alsace". Citant en exemple les réalisations accomplies dans les Côtes du Rhône, il préconise la défense d'une région cohérente et dynamique capable d'avancer sans tergiversation : "Dans les Côtes du Rhône, ils ont bien maîtrisé la qualité dans son ensemble. Il y a quelques élites mondialement connues, mais tout le monde est englobé dans une même perpective : Côtes du Rhône d'abord, l'élite... peut-être !"
L'amour ce n'est pas se regarder l'un l'autre, disait Chateaubriand, mais regarder ensemble dans une même direction. Une maxime que les vignerons du Saering, amoureux de leur terroir, s'efforcent d'appliquer au pied de la lettre.
Vous pouvez lire l'Avis du Connaisseur sur les vins issus de ce terroir.
Victor CANALES
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