Le grand cru prend naissance au pied des maisons vigneronnes et se déploie sur 33 hectares à flanc de coteaux, en direction de la montagne, au-dessous d'une ancienne carrière de pierres qui lui donne son nom. Ses sols, caillouteux marno-calcaires et argilo-sableux établis sur des marnes et conglomérats calcaires de l'Oligocène, sont prédestinés à la production des vins de longue vie. En particulier des rieslings souples et harmonieux, dans la partie supérieure où dominent les arènes granitiques, et des gewurztraminers, opulents et charmeurs, dans les parcelles plus argileuses et calcaires du bas. Surprenant par leur équilibre et leur richesse aromatique, ils sont l'expression naturelle du terroir.
Fragrance aromatique
Une expression que les vignerons de Wettolsheim s'emploient à préserver dans toute sa complexité. "Comparé à d'autres grands crus voisins comme le Hengst de Wintzenheim ou l'Eichberg d'Eguisheim, le Steingrubler donne l'impression d'être le mauvais garçon de la famille. De prime abord, il présente une certaine rusticité qui émane de sa force de caractère. Cette rusticité s'accommode très bien avec les gewurztraminers. Dans leur jeunesse ces vins sont corpulents, puissants, très expressif du cépage. Mais ensuite, dans la mesure où l'on a observé une certaine conduite de la vigne et des rendements, ils acquièrent une fragrance aromatique de fruits et de roses qui se fond dans la minéralité et la finesse du terroir", raconte Jacky Barthelmé de la maison Albert Mann. La remarquable réussite des gewurztraminers n'éclipse pas pour autant les performances des rieslings, voire des tokays pinots gris, dans le grand cru. "Les plus grands cépages ont toujours leur place dans les grands terroirs. Dans le Steingrubler, il n'y pas un cépage phare, mais des vins différents qui traduisent les diverses possibilités qui s'offrent au vigneron. L'important est de trouver l'équilibre entre la plante et le sol pour atteindre le meilleur niveau de qualité", déclare Jean Jacques Stentz-Beucher, en soulignant la richesse des rieslings et l'extraordinaire générosité des tokays pinots gris.
Jardin de mémoire
Entourée de vignes jusque dans ses moindres recoins, la commune de Wettolsheim semble indifférente à la proximité bruyante de l'agglomération colmarienne. Ses terres ont vu défiler les peuplades d'origine la plus diverse à travers les âges. Depuis le néolithique à l'époque romaine, jusqu'aux mérovingiens et aux temps modernes, toutes les civilisations anciennes ont laissé leur empreinte indélébile sur son territoire. Un "Jardin de mémoire" préserve ce patrimoine archéologique dont le langage nous aide à comprendre les réalités immédiates des époques révolues. Mais parmi les cultures enracinées dans les sols de Wettolsheim, il en est une qui transcende l'usure du temps : la culture de la vigne. Par delà les aléas de l'histoire, la localité a maintenu son identité vigneronne, disputant le titre de berceau de la viticulture alsacienne aux communes voisines de Wintzenheim et d'Eguisheim. Peu importe, d'ailleurs, l'endroit où fut planté le premier cep car il est certain qu'il fleurît bien avant que ne surgissent les noms sur lesquels se greffent les villages actuels. Les terres changeaient jadis de ban au gré des propriétaires et, dans ces échanges, la possession de la vigne était l'élément décisif. Ainsi, "Wetelsheim" est mentionné pour la première fois en 1211, dans une donation à l'abbaye de Marbach, qui, avec l'Evêché de Strasbourg et sa kyrielle de couvents, se partageait à l'époque le plus clair du vignoble. Le "Steingrub", apparaît quant à lui en 1487, dans un écrit de Marbach, à un moment où les vins de la région trônent sur les tables princières de l'Europe septentrionale.
Préserver l'écosystème
La notoriété de jadis n'est cependant pas un miroir dans lequel les vignerons de Wettolsheim se complaisent. Pour eux, c'est une donne qui renforce leur foi dans le terroir et inspire leur démarche quotidienne. "Si les vins d'Alsace étaient autrefois parmi les plus le plus appréciés d'Europe, c'est sans doute parce que nos ancêtres savaient composer avec les vertus du sol et de l'environnement. Au cours du temps nous avons perdu cette faculté de communion. Aujourd'hui nous devons la redécouvrir pour que nos vins retrouvent la supériorité perdue", déclare François Bermes-Beucher. Il y a en effet plusieurs périodes dans l'histoire de la viticulture alsacienne, et toutes ne sont pas dignes de référence, sinon comme exemple de ce qu'il ne faut pas faire, souligne son collègue André Stenz : "Après la Deuxième Guerre mondiale, déclare-t-il, les progrès technologiques nous ont fait oublier ce qu'était la nature. Le vignoble a suivi la tendance productiviste prônée dans l'agriculture. Les usines de poudre à canon, transformées en usines d'engrais, nous inondaient de fertilisants nouveaux et la recherche agronomique misait sur des molécules et des clones à gros rendements, sans tenir compte de la complexité de l'écosystème". Ces pratiques ont entraîné un appauvrissement des sols souvent compensé par des apports en nitrates, qui, à leur tour, fragilisaient davantage la terre et perturbaient le cycle biologique de la plante, la maturité du raisin, et par conséquent la qualité du vin. "C'est en touchant le sol que j'ai pris conscience des dégâts. La vie microbienne était décimée", dit encore André Stenz converti à la viticulture biodynamique depuis une quinzaine d'années.
La signature du sol
Cette prise de conscience n'a pas été évidente pour tous, car il est toujours difficile de renoncer à la commodité des habitudes, mais désormais elle est quasi générale, affirme François Barmes-Beucher : "Dans le village, nous avons compris que l'on ne peut faire du vin de qualité en agressant la nature. Les insecticides et pesticides laissent des résidus dans le vin qui dénaturent son goût. Leur usage excessif bloque la photosynthèse et retarde la maturation du fruit, et l'engraissement chimique de la plante ne favorise pas son enracinement profond. Tous ces facteurs nocifs sont un obstacle à l'élaboration des vins de caractère qui incarnent l'original de la terre et du cépage." Le travail des sols, l'enherbement et le compost remplacent désormais le recours aux engrais azotés et aux herbicides. Quant à la lutte contre les parasites elle se fait par des méthodes écologiques, telles que la confusion sexuelle pour combattre le ver de la grappe, plus respectueuses de l'environnement et du rythme naturel des saisons. Il ne faudrait pas croire, pour autant, que les vignerons de Wettolsheim sont tombés sur le charme bucolique du retour au passé précise André Stenz. "On ne revient jamais en arrière, nous essayons simplement de réconcilier l'homme avec sa terre en nous aidant des connaissances scientifiques qui permettent d'éviter les erreurs."
L'avenir du vignoble repose sur l'originalité des vins et celle-ci dépend du respect que l'on prodigue au terroir, estime Jacky Barthelmé : "Les nouvelles réalités s'imposent au-delà du microcosme local. Quand on est sur les marchés internationaux, face à des concurrents qui vendent des vins de qualité deux ou trois fois moins cher que nous, la seule manière de s'imposer est de présenter des vins différents, fins, riches et complexes qui portent la signature des sols qui les ont engendrés. Des gewurztraminers ou des rieslings, il peut y en avoir des quantités de par le monde, mais pas des Steingrubler. Le cépage peut se transplanter, mais pas le terroir ni son microclimat". Avec ses 450 hectares de vignes Wettolsheim occupe la deuxième place des communes viticoles d'Alsace. Cette situation impose des responsabilités, souligne Jacky Barthelmé, "celle d'être à l'avant-garde de la qualité, en sachant que celle-ci n'est pas le fruit d'une découverte spontanée, mais le résultat du travail laborieux du vigneron."
Vous pouvez lire l'Avis du Connaisseur sur les vins issus de ce terroir.
Victor CANALES
Le site https://www.alsace-du-vin.com/ utilise des cookies
Cookies de session anonymes (nécessaires au bon fonctionnement du site).
Cookies de mesure d'audience | Refuser Accepter |